Cinq albums en quartet, à penser, à jouer, à respirer en groupe, Denis Gancel a donc choisi de tenter l’aventure en solo. Pas un besoin mais une envie. Pas de prendre l’air, mais de prendre des risques. Passer de leader à soliste, c’est désormais affronter seul les portées vierges. Comme se lancer dans le vide avec juste son piano et découvrir jusqu’où pourront le porter les touches quand il prendra l’initiative de s’échapper des partitions noircies.

Des partitions qui n’existaient pourtant que dans son esprit puisque, pour cet album en solo, Denis Gancel n’a pas tout couché sur le papier. «L’improvisation ne s’improvise pas» disait Keith Jarrett, alors thèmes et arrangements, tout a été mémorisé. Non pas joué par cœur, mais avec le cœur.

Denis Gancel aime ce qui dure. Ce que le temps renforce. La musique, le jazz, l’amitié et les aventures qui soudent l’ensemble pour le rendre imperméable aux tempêtes. Tout ce qui résiste à l’instantané, prend du corps et de l’intérêt au long d’années d’affinage et de maturation, comme en fût de chêne. Depuis dix ans, c’est avec les mêmes amis qu’il forme le Denis Gancel Quartet. Une décennie que le quartet immortalise et fête avec un album live, enregistré en septembre 2022, au Sunside, le club de jazz du Ier arrondissement parisien qui, quant à lui, soufflait ses quarante bougies.

Si l’étiquette mentionne le quartet, la dégustation révèle, à certains endroits, un groupe qui devient trio et Terreur Des Mouches à Gâteaux à basse funky. A d’autres, il se réduit à l’unique piano de Denis Gancel pour Smile, le standard de Charlie Chaplin. Le jeu de la reprise, Gancel s’y livre ici pour la première fois, donnant également sa propre version de Sous le Ciel de Paris, chanté par Juliette Gréco. 

Contempler ce Méli-Mélo c’est aussi le laisser délivrer ses subtilités autant que ses notes vocales brésiliennes. Féminines, suaves et caressantes, elles rendent hommage au lever du soleil, aux Basques, ou à la terre natale de la chanteuse Juliana Olm, elle qui, le temps de cinq titres, s’invite dans un quartet dont elle semble avoir toujours fait partie. Charnu par endroits, fondu à d’autres, c’est bien lorsqu’il se retrouve au complet que le quartet exalte toute sa complexité qu’il épice parfois des notes d’accordéon d’Inaki Dieguez, ou réhausse des percussions de Luis Camino.

Enregistré à San Sebastian avant que ne claque une seconde fois la porte du confinement, avec ses indéfectibles fidèles Philippe Nadaud (sax ténor et clarinettes), Nicolas Chelly (basse électrique) et Hidéhiko Kan (batterie), Puzzledécoupe des éléments d’apparence dissemblables qui pourtant s’assemblent les uns aux autres pour former un récit où tout s’emboîte avec logique, sans frottement et crée de la cohérence là où, à première vue, il ne semble pas y en avoir.

Bric À Brac, trois mots qui renvoient à un apparent abandon de toute logique de rangement et de classement. Pourtant dans cet univers d’aspect chaotique, il existe toujours une cohérence pour celui qui l’orchestre. Un lien que lui seul connaît et par lequel il guide ses visiteurs à travers ses enchevêtrements et ses empilements. Comme un saphir qui continuerait à explorer le sillon que le Denis Gancel Quartet se plaît à creuser, c’est le plaisir qui est le guide de ce Bric À Brac. Plaisir de jouer avec ses complices. De traverser plusieurs strates d’émotions, passer par tristesse, joie, nostalgie, bonheur présent et mélancolie.

Dès la pochette, nous sommes plongés au cœur d’une belle vague de l’océan. Certains titres fleurent bons le bord de mer avec Le Vélo Jaune, Tango Tono, Trop Cool L’océan ou bien En allant danser. 

Mais ce serait une erreur de croire que ces Miscellanées ne sont qu’estivales. Le titre Bataclan écrit en hommage aux victimes d’attentats est là pour nous le rappeler. Deux titres chantés en anglais Lazy Afternoon et A Flashback of you par la merveilleuse Yasmin Shah nous emmènent dans un rêve quand le solo déchirant de Philippe Nadaud (Sax) semble vouloir nous dire que la vague scélérate n’est jamais loin des temps calmes.

Tous ces titres forment un ensemble cohérent. D’ailleurs, Denis Gancel a tenu à nous le dire dans un titre contemplatif l’accordeur accordé afin que l’on comprenne que l’accord étant quasi-parfait, ces Miscellanées en appelleront certainement d’autres. On a hâte !